Agriculture et alimentation : même combat !

Aujourd’hui, la plus dramatique des sécheresses est celle du champ des idées et du champ des possibles, où trop peu de choses semblent pousser. Et pourtant, en étant attentif on peut y voir pousser des germes et l’idée d’une sécurité sociale de l’alimentation fait partie des plus stimulantes.

Face à Macron et son obsession de privatiser toujours plus de secteurs, il me semble indispensable d’être offensif en imposant dans le débat public des projets qui élargissent au contraire le socle des droits fondamentaux. Il s’agit ni plus ni moins de mettre en commun certains biens/services jugés collectivement indispensable afin que ce ne soit plus le marché et notre niveau de revenu qui nous y donnent accès. Dans cet article je propose de mettre en avant une idée innovante sur un de nos besoins de base, l’alimentation.  

« La façon dont on se nourrit décide du monde dans lequel on vit » Bruno Vergus, chef cuisinier engagé.

La transformation radicale des systèmes agricoles/alimentaires est une urgence écologique, de souveraineté alimentaire, de sécurité alimentaire et de santé publique, aussi bien dans le pays du Nord que dans les pays du Sud. J’évoquerai simultanément l’agriculture et l’alimentation car on ne peut pas les penser indépendamment mais en m’attardant principalement sur le volet consommation et nourriture.

Tout d’abord, il convient de rappeler quelques constats. La précarité alimentaire concerne en France 12% de la population (8 millions de personnes dépendent de l’aide alimentaire pour se nourrir – en 2009 ce chiffre s’élevait à 2,6 millions). Cela ne résulte pas d’une insuffisance de disponibilité alimentaire mais d’une mauvaise répartition liée principalement aux inégalités de revenu. Des étudiants et des travailleurs précaires, qui mangent trop peu et trop mal.

L’aide alimentaire traditionnelle (restos du cœur, banques alimentaires) est surtout la distribution charitable de malbouffe avec des effets délétères invisibles (humiliation, culpabilité des bénéficiaires, etc.). Malgré son caractère indispensable à court terme, l’aide alimentaire sert de tri pour les poubelles des supermarchés et légitime la surproduction de produits de mauvaise qualité.  

La sécurité sociale de l’alimentation (SSA) quant à elle se donne pour but de mettre un terme à la faim tout en permettant d’accéder à des produits alimentaires de qualité. Ce projet porté par des groupes de paysans, d’ingénieurs agronomes, de citoyens et de chercheurs part du constat que pour changer de système alimentaire, des politiques uniquement axés sur l’offre (par exemple des subventions aux producteurs) sont insuffisantes. Il faut envisager des politiques de soutien à la demande de produits de qualité.

Concrètement, il s’agirait de donner une somme mensuelle à chacun pour des dépenses alimentaires auprès de producteurs, d’épiceries, de restaurants conventionnés. Le conventionnement permettrait de choisir les aliments qui seraient privilégiés : on pourrait par exemple progressivement déconventionner la nourriture industrielle au profit de produits sains en circuit court. Ce système serait financé par des cotisations proportionnelles aux revenus et gérées démocratiquement par des caisses locales de travailleurs, d’associations de consommateurs, de coopératives et de syndicats agricoles.

Les promoteurs de ce système imaginent commencer avec une somme de 150 euros mensuels par personne, accessibles sur une carte vitale de l’alimentation. Cette somme ne couvre pas tous les besoins alimentaires (220 euros en moyenne), mais rendrait accessibles à tous des produits bio, locaux et de qualité. Cela assurerait de plus les agriculteurs d’une demande suffisante pour vivre décemment, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui pour la majorité d’entre eux. Le désarroi psychologique et économique des agriculteurs est patent depuis plusieurs années avec un taux de suicide important (1 tous les deux jours selon Santé publique France, 2019).

Ce projet s’inscrit dans une perspective universelle, sans distinction dans l’accès au droit (au même titre que la carte vitale chez le médecin ou le pharmacien auquel tout le monde à droit). C’est le seul moyen d’assurer la dignité de tous et d’éviter l’étiquette « d’assisté coutant un pognon de dingue ».

Comme on peut le constater les avantages de ce dispositif seraient multiples et permettrait de refonder en profondeur notre système de production et de consommation alimentaire. Bien entendu, comme toute idée en gestation, elle a des limites et doit être critiquée, discutée. Tout d’abord son coût évalué à 120 milliards qui reposerait sur des cotisations sociales. C’est moitié moins que le budget de l’assurance maladie avec des cotisations progressives en fonction des revenus mais dans le cadre économique, politique actuel cette idée semble irréaliste, difficile à mettre en œuvre. C’était également le cas à la fin de la seconde guerre mondiale quand le Conseil National de la Résistance initia la Sécurité Sociale de la Santé. La volonté, le courage politique des dirigeants de l’époque, tous bords confondus, ainsi qu’un rapport de force plus favorable aux travailleurs qu’au patronat permirent pourtant ce tour de force. La source de financement pourrait également provenir des revenus de la finance (taxes sur les transactions financières par exemple) qui sont exempts de toute cotisation.

Si cet élargissement du principe de la sécurité sociale au domaine de l’alimentation ne résout pas tous les problèmes, il a au moins le mérite de la stimulation en pensant en dehors du cadre néolibérale. L’expérimenter permettrait d’entamer la transition vers une production et une consommation de nourriture plus saines pour tous, respectueuses des équilibres de la biosphère, créatrices de travail et de beaux paysages. En parallèle, il faudrait bien entendu favoriser les pratiques d’agroécologie, d’agroforesterie, la relocalisation de la production, l’autonomie paysanne (cf Atelier Paysan), etc.

Les principaux obstacles sont le manque de volonté politique, le poids des lobbies de l’agro-industrie et celui des représentations/mythologies collectives (Exemple: il faut gagner son pain à la sueur de son front ; la protection sociale doit être diminué ; les chomeurs sont des assistés). Par ailleurs, la politique agricole commune (PAC) de l’Union Européenne pourrait être un outil puissant de réorientation d’un système industriel vers des systèmes agro-écologiques. Malheureusement la dernière version 2021-2027 finance toujours massivement l’agriculture industrielle et la conditionnalité des aides reste essentiellement du greenwashing. Si cette proposition de SSA était mise en œuvre demain, l’offre actuelle de produit de qualité ne suffirais pas…

En conclusion, pas besoin d’innovation technique délirante, d’OGM, d’agriculture connecté, de fermes usines pour nourrir sainement l’humanité. Ces « fausses solutions » ne sont pas fondées sur une analyse factuelle de la situation. Elles sont idéologiques et politiques. La lutte pour basculer vers un nouveau modèle agricole/alimentaire doit donc elle aussi être politique.

La sécurité sociale de l’alimentation est un projet politique offensif qui permettrait de renforcer le socle des droits fondamentaux qui existent déjà en France (santé, éducation, justice) et demain peut-être alimentation, logement, énergie. Il est grand temps de stopper l’hémorragie néolibérale et de passer à la contre-attaque en expérimentant de nouvelles stratégies qui apporterait sans nul doute une nouvelle prospérité…

Plus d’information : https://securite-sociale-alimentation.org/ et une courte vidéo explicative juste dessous.

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